Topic 7190525
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:17:22
© photo Haru Songokù
TRÊVE
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:17:22
À présent qu'il n'y a plus de guerre, on se demande ce qu'on fait. C'est parce qu'ils sont nécessaires qu'on n'aime pas les temps d'arrêt. On s'accorde un répit, tu t'ennuies. Mais tu es au bout de ta fatigue. Rien n'arrive, ni tes amis, ni l'été. Tes deux placements ont dégringolé. Il nous faudrait plusieurs bulles pour qu'en y restant, nous n'ayons pas le sentiment d'être emprisonnés dans l'espace le plus froid de nos ressources. Les gens qui se tiennent occupés ne voient pas le gel effriter leurs parois. Il reste néanmoins une fenêtre sur demain. Secoue-toi. Ce n'est pas encore le temps de te laisser mourir.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:20:41
Un regard sur le drain, une foule siphonnée, un soir froid comme les heures de tombée de décembre. Quatre mois que je suis arrivé. Juin qui commence demain. Comat d'archers devant des spectateurs égarés comme des lampes. Il vous arrive, à vous aussi, de croire que la nuit tombe et qu'aucun jour jamais ne sera à son chevet? Quatre mois que je suis ici et que le ciel piétine, que j'ai froid, que ne se tournent jamais les pages du livre où ma vie s'écrit.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:22:12
De quoi avons-nous parlé depuis ces quatre mois? Même pas de guerre. Passons, il n'y en aura pas. Ce n'est pas la première fois que nous devrons composer avec la nostalgie. Nous avons cherché à travers la poésie à sonder ce qui cloche dans notre monde, pourquoi nous étonner d'un résultat si ordinairement poétique? Même dans les alertes ultimes de sa perte, notre monde, admettons-le, va bien. Cessez de chercher la destruction à tout prix. Quand elle sera là, c'est vous qui ne serez pas au rendez-vous.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:23:50
Vous vous désespérez parce que vous ne trouvez aucun utilitaire au travail que vous faites. Vous montez chaque jour pour avoir une heure d'exercices intenses dans un gym exquis de la péninsule et vous revenez découragé sans avoir retrouvé votre puberté. Deux mères étaient assises avec des chapeaux de cow-boy à la terrasse d'un café. Elles avaient des enfants qui criaient à séparer les tympans. Le temps passé sur la terrasse n’a pas duré un quart d’heure et nous sommes certains d’avoir enduré des siècles de cris. Ne pas exagérer. Disons au moins une heure. Mais ça hurlait encore. Nous avons regardé par la fenêtre parce que nous étions certains que le massacre se poursuivait. Mais en réalité, ces mères s'amusaient avec leurs enfants, les trimbalent de la table au trottoir, du trottoir à la table voisine, discutaient avec des étrangers, sans nullement s'excuser du tintamarre qu'elles causaient avec ces bambins qui n'arrêtaient pas de crier, tout ça, ce bonheur impoli, ces activités de groupes, ce n'était pas justifié. Les enfants (un an l'autre encore plus jeune) étaient visiblement en train de crier parce que le ballon orange les excitait. Plus tard, bien que les cris aient continué, nous avons trouvé les deux mères assises sur le trottoir, riant et chantant à voix haute, sans se soucier des enfants. Elles les avaient confié aux étrangers, à une dizaine de mètres plus loin. Ces deux femmes étaient dans le plaisir, la joie, les grandes choses, les vacances. Une heure plus tard, quand elles sont reparties avec les enfants qui hurlaient encore, nous avons constaté que dans la plus toutes les joies il persiste une détresse. Nous nous étions fait violence à les regarder, mais dans le silence qui a suivi, il semble très clair que les deux mères ont transporté cette douleur qui nous avait rendu si pessimistes à les observer. Elles étaient venu puis partie avec notre gravité de l'existence. Rien ne peut nous dire si elles ont senti que nous étions malheureux de les voir, avec leur déclin destiné à briser nos oreilles et corps entiers. Mais nous savons qu'après leur départ, nous étions légers, très légers, comme de la fumée dans le silence.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:25:44
Mon malheur n'est rien d'autre que ce fait inéluctable: je suis un Chinois. C'est une situation poussée à l'extrême. Les Chinois sont le drain de l'humanité, car quand l'homme ou la femme ordinaire imagine une situation inextricale qui ne lui convient pas, il attribue le malaise de cette situation (maladie non reconnue, extensions malsaines de la pensée) à la présence des Chinois sur la terre. Regardez un piéton solitaire, qui va vers un lieu où sa vie le conduit à un moment précis de son existence. Si c'est un Occidental, tout le monde trouvera que son pas est normal, engagé, incorporé dans la réalité. Si c'est un Chinois, non seulement on le remarquera au point de s'en souvenir, mais on s'en méfiera.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:27:31
Nous n'avons pas besoin de lire un livre en retournant consulter la page titre chaque fois qu'on en finit un chapitre. Mais je fais partie de ces gens qui n'en croient pas leurs yeux quand ils lisent quelque chose qui change leur vie. Je dois plusieurs fois relire le titre pour me convaincre que l'objet que j'ai entre les mains n'est pas un rêve que je suis en train de faire.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:29:56
Tout homme qui erre sort du mouvement, pas seulement que les Chinois. Se dire victime d'une affaire parce qu'on fait partie d'une nationalité plutôt que telle autre, c'est comme chercher sur sa peau une excuse pour s'absenter des rangs. Des débordements tentaculaires de la pensée, il y en a jusque chez l'homme de bonne volonté. Il n'a qu'à passer le vacuum s'il veut regagner sa place dans la normalité, ou bien il fait comme moi et deux ou trois autres: il monte au palmarès des limbes, dans l'attente de sa statue de cire au musée des consciences.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:31:15
Quatre mois pour attendre de savoir l'identité exacte de soi c'est un temps régulier, même rapide, pour s'intégrer. Des papiers de l'immigration ont plus de lenteur que ça pour arriver. Personne ne t'a arraché de la terre, tu es seulement sorti d'un avion pour mettre un autre paysage devant tes yeux.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:31:15
Chaque semaine, le vendredi, mon ami achète un billet de loterie. Il contrevient à sa compulsion en s'interdisant d'en acheter n'importe quel autre jour. Une fois qu'il se croyait vendredi, mais en fait c'était un jeudi, il en a acheté. Quand il a réalisé ce manque à sa conduite, il a sévèrement critiqué son impulsion. Je lui ai dit: "La vie est de courte durée. Tu ne prives personne en te faisant plaisir." Il a répondu à ça que c'était mal se préparer à la mort que de se faire des plaisirs terrestres plus d'une fois par semaine.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:31:15
Demain, l'homme qui contrôle l'empire le plus puissant de cette planète n'existera plus. Il sera remplacé par un autre, qui lui-même cessera d'exister quand son temps sera fini. Nous sommes peu de choses. Haru, le livre que tu es en train de lire, une fois que tu l'auras fini, tu le passeras à ton voisin. Il risque de ne pas se rendre à la moitié. Le livre lui tombera des mains, et tu seras le premier étonné de constater que ce qui donne un sens à ta vie ne le donne qu'à toi seul. Nous sommes peu de choses. Personne ne regarde de la même façon. Si le bonheur est offert dans une seule et même assiette, l'assiette où quelques convives seulement se seront servi retournera dans les cuisines, puis dans les poubelles. La vie est un zig-zag. Nous cherchons seulement une sortie pour aller où les autres ne vont pas.
Topic 7190525
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:17:22
© photo Haru Songokù
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525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:17:22
À présent qu'il n'y a plus de guerre, on se demande ce qu'on fait. C'est parce qu'ils sont nécessaires qu'on n'aime pas les temps d'arrêt. On s'accorde un répit, tu t'ennuies. Mais tu es au bout de ta fatigue. Rien n'arrive, ni tes amis, ni l'été. Tes deux placements ont dégringolé. Il nous faudrait plusieurs bulles pour qu'en y restant, nous n'ayons pas le sentiment d'être emprisonnés dans l'espace le plus froid de nos ressources. Les gens qui se tiennent occupés ne voient pas le gel effriter leurs parois. Il reste néanmoins une fenêtre sur demain. Secoue-toi. Ce n'est pas encore le temps de te laisser mourir.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:20:41
Un regard sur le drain, une foule siphonnée, un soir froid comme les heures de tombée de décembre. Quatre mois que je suis arrivé. Juin qui commence demain. Comat d'archers devant des spectateurs égarés comme des lampes. Il vous arrive, à vous aussi, de croire que la nuit tombe et qu'aucun jour jamais ne sera à son chevet? Quatre mois que je suis ici et que le ciel piétine, que j'ai froid, que ne se tournent jamais les pages du livre où ma vie s'écrit.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:22:12
De quoi avons-nous parlé depuis ces quatre mois? Même pas de guerre. Passons, il n'y en aura pas. Ce n'est pas la première fois que nous devrons composer avec la nostalgie. Nous avons cherché à travers la poésie à sonder ce qui cloche dans notre monde, pourquoi nous étonner d'un résultat si ordinairement poétique? Même dans les alertes ultimes de sa perte, notre monde, admettons-le, va bien. Cessez de chercher la destruction à tout prix. Quand elle sera là, c'est vous qui ne serez pas au rendez-vous.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:23:50
Vous vous désespérez parce que vous ne trouvez aucun utilitaire au travail que vous faites. Vous montez chaque jour pour avoir une heure d'exercices intenses dans un gym exquis de la péninsule et vous revenez découragé sans avoir retrouvé votre puberté. Deux mères étaient assises avec des chapeaux de cow-boy à la terrasse d'un café. Elles avaient des enfants qui criaient à séparer les tympans. Le temps passé sur la terrasse n’a pas duré un quart d’heure et nous sommes certains d’avoir enduré des siècles de cris. Ne pas exagérer. Disons au moins une heure. Mais ça hurlait encore. Nous avons regardé par la fenêtre parce que nous étions certains que le massacre se poursuivait. Mais en réalité, ces mères s'amusaient avec leurs enfants, les trimbalent de la table au trottoir, du trottoir à la table voisine, discutaient avec des étrangers, sans nullement s'excuser du tintamarre qu'elles causaient avec ces bambins qui n'arrêtaient pas de crier, tout ça, ce bonheur impoli, ces activités de groupes, ce n'était pas justifié. Les enfants (un an l'autre encore plus jeune) étaient visiblement en train de crier parce que le ballon orange les excitait. Plus tard, bien que les cris aient continué, nous avons trouvé les deux mères assises sur le trottoir, riant et chantant à voix haute, sans se soucier des enfants. Elles les avaient confié aux étrangers, à une dizaine de mètres plus loin. Ces deux femmes étaient dans le plaisir, la joie, les grandes choses, les vacances. Une heure plus tard, quand elles sont reparties avec les enfants qui hurlaient encore, nous avons constaté que dans la plus toutes les joies il persiste une détresse. Nous nous étions fait violence à les regarder, mais dans le silence qui a suivi, il semble très clair que les deux mères ont transporté cette douleur qui nous avait rendu si pessimistes à les observer. Elles étaient venu puis partie avec notre gravité de l'existence. Rien ne peut nous dire si elles ont senti que nous étions malheureux de les voir, avec leur déclin destiné à briser nos oreilles et corps entiers. Mais nous savons qu'après leur départ, nous étions légers, très légers, comme de la fumée dans le silence.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:25:44
Mon malheur n'est rien d'autre que ce fait inéluctable: je suis un Chinois. C'est une situation poussée à l'extrême. Les Chinois sont le drain de l'humanité, car quand l'homme ou la femme ordinaire imagine une situation inextricale qui ne lui convient pas, il attribue le malaise de cette situation (maladie non reconnue, extensions malsaines de la pensée) à la présence des Chinois sur la terre. Regardez un piéton solitaire, qui va vers un lieu où sa vie le conduit à un moment précis de son existence. Si c'est un Occidental, tout le monde trouvera que son pas est normal, engagé, incorporé dans la réalité. Si c'est un Chinois, non seulement on le remarquera au point de s'en souvenir, mais on s'en méfiera.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:27:31
Nous n'avons pas besoin de lire un livre en retournant consulter la page titre chaque fois qu'on en finit un chapitre. Mais je fais partie de ces gens qui n'en croient pas leurs yeux quand ils lisent quelque chose qui change leur vie. Je dois plusieurs fois relire le titre pour me convaincre que l'objet que j'ai entre les mains n'est pas un rêve que je suis en train de faire.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:29:56
Tout homme qui erre sort du mouvement, pas seulement que les Chinois. Se dire victime d'une affaire parce qu'on fait partie d'une nationalité plutôt que telle autre, c'est comme chercher sur sa peau une excuse pour s'absenter des rangs. Des débordements tentaculaires de la pensée, il y en a jusque chez l'homme de bonne volonté. Il n'a qu'à passer le vacuum s'il veut regagner sa place dans la normalité, ou bien il fait comme moi et deux ou trois autres: il monte au palmarès des limbes, dans l'attente de sa statue de cire au musée des consciences.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:31:15
Quatre mois pour attendre de savoir l'identité exacte de soi c'est un temps régulier, même rapide, pour s'intégrer. Des papiers de l'immigration ont plus de lenteur que ça pour arriver. Personne ne t'a arraché de la terre, tu es seulement sorti d'un avion pour mettre un autre paysage devant tes yeux.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:31:15
Chaque semaine, le vendredi, mon ami achète un billet de loterie. Il contrevient à sa compulsion en s'interdisant d'en acheter n'importe quel autre jour. Une fois qu'il se croyait vendredi, mais en fait c'était un jeudi, il en a acheté. Quand il a réalisé ce manque à sa conduite, il a sévèrement critiqué son impulsion. Je lui ai dit: "La vie est de courte durée. Tu ne prives personne en te faisant plaisir." Il a répondu à ça que c'était mal se préparer à la mort que de se faire des plaisirs terrestres plus d'une fois par semaine.
525 Re://T7190 [Chil/Hll/Kobi/DonS/Tanu/East/Toku/MinHo - Trêve] post. 19-05-31 19:31:15
Demain, l'homme qui contrôle l'empire le plus puissant de cette planète n'existera plus. Il sera remplacé par un autre, qui lui-même cessera d'exister quand son temps sera fini. Nous sommes peu de choses. Haru, le livre que tu es en train de lire, une fois que tu l'auras fini, tu le passeras à ton voisin. Il risque de ne pas se rendre à la moitié. Le livre lui tombera des mains, et tu seras le premier étonné de constater que ce qui donne un sens à ta vie ne le donne qu'à toi seul. Nous sommes peu de choses. Personne ne regarde de la même façon. Si le bonheur est offert dans une seule et même assiette, l'assiette où quelques convives seulement se seront servi retournera dans les cuisines, puis dans les poubelles. La vie est un zig-zag. Nous cherchons seulement une sortie pour aller où les autres ne vont pas.