Topic 7190500

 

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:43:26

© photo page Index - remerciments Hugo Poon The Peninsula and the Chinese New Year

PENINSULA

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:43:26

On y voit passer le traversier du monde. Un instant de la vie se suspend, le temps de respirer, le temps de reprendre son cours.  Un être en transit appartient-il vraiment à lui-même? Il y a plus de gens seuls que de couples. Parfois des équipes, mais chaque membre de l’équipe passe ici par sa solitude. Je pense souvent que les troupeaux ne peuvent pas envisager leur dissolution, quand on voit paître l’ensemble, qu’il soit ordinaire ou de race recherchée. Pourtant la société tout entière promène un ensemble innombrable de solitudes. Il faut le voir ici pour s’en convaincre.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:46:52

Nous observons les fêtes, les rassemblements sociaux, les congrès. Nous passons comme des ombres entre les tables, on s’adresse à nous qu’en cas d’extrême nécessité. Ceux qui nous remarquent font semblant de ne pas tenir compte de nos présences. À l’inverse, il y a une sorte de clientèle que nous indifférons autant que les chaises sur lesquelles ces gens sont assis. Mais on dirait qu'ils s’efforcent de se montrer polis quand nous passons remplir les verres. De façon générale, beaucoup pensent que nous sommes engagés ici pour maintenir l’ordre ou pour consoler par nos présences les gens effrayés à l’intérieur de leur solitude, devant leur miroir mental.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:49:12

Pendant les fêtes du Nouvel An, on lâche dans le ciel des milliers de fusées qui explosent dans la nuit. Ces pyrotechnies coûtent une fortune à l’État. Elles rassemblent pour quelques secondes seulement un bouquet d’étincelles qui se déploient en illustrant une pluie d’or, de rubis, de jade sur fond d’encre noire, pour se volatiliser autant qu’une idée disparaît d’une tête avant même d’avoir fini d’y prendre place. La clientèle assiste à ce déferlement en se brisant d’émotion. Chaque étincelle qui disparaît dans la nuit lui fait penser à elle-même, qui se tient compacte avant de se disséquer en milliers de solitudes.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:51:55

Ni des surveillants ni des aides. On nous confond avec les tableaux. Je suis déjà resté une heure dans une chambre. Ni l’homme ni la femme n’ont fait attention à moi. Ils étaient européens, ils parlaient français, Ils ne savaient pas que je comprenais le français. Je nettoyais la baignoire pendant qu’ils discutaient. Je sais de quoi ils discutaient, mais je ne peux pas le répéter. C’était ni intime ni officiel, sans rapport avec une vie professionnelle ou amoureuse, quoique d’une certaine manière tout ça faisait partie de leur conversation. Ils n’ont jamais fait allusion à ma présence. Quand je me suis excusé avant d’entrer, ni l’un ni l’autre ne s’est dérangé, quand je suis reparti il n’y a pas eu de merci, ni d’excuses. Mais j’ai l’habitude. Au lendemain de leur départ, ils avaient laissé un pourboire aussi gros que le prix d’une nuitée. Ce sont toujours ces gens-là qui n’ont pas de problèmes avec une présence étrangère dans leur intimité. Ils laissent d’énormes pourboires.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:54:08

Je suis déjà resté longtemps à dialoguer avec la présence d’un homme qui s’était ôté la vie juste avant que j’entre pour faire la chambre. L’odeur de la mort n’était pas encore arrivée. Qu’un peu de souffre dans l’air, mais beaucoup de sang sur l’oreiller. Chaque fois, c’est plus fort que soi: «Non mais à quoi avez-vous pensé?» Au lieu de lui demander sagement s’il n’a pas trop souffert? Physiquement, je veux dire. Moralement toute la souffrance est là, enfin retombée par terre. La consigne est catégorique: il faut appeler le supervisuer dès qu’on découvre le corps. Mais comme nous tous, le superviseur est chinois. Il sait que nous devons placer d’urgence un apaisement moral avant d’appeler la police. La famille, les créanciers, eux, ça peut toujours attendre. Heureux sont ceux qui meurent longtemps avant que leur cadavre ne soir découvert. Ils ont le temps de se préparer au spectacle qu’ils vont donner.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:56:14

Toutes ces heures devant l’humanité qui passe, et qui se recompose au lendemain d’avoir été une humanité de la veille, doivent comporter des moments de joie? Si des couples ne font pas attention à vos présences tandis que vous êtes dans leur chambre, avez-vous jamais assisté à des ébats amoureux? À des rencontres entre purs étrangers? Tant de gens se donnent rendez-vous sans se connaître dans tous les hôtels du monde. Ah oui, c’est vrai: si vous avez vu mourir des gens, en avez-vous vu naître?

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:58:23

L’homme mort avec le masque encore imprégné de la vie a peut-être beaucoup à dire quand il constate, en présence du garçon d’étage, qu’il est bel et bien passé de l’autre côté. Il paraît que notre rôle est de ne pas l’en informer trop brusquement. S’il veut articuler des paroles et qu’elles ne viennent pas, s’il veut me dire: «Allez-vous-en» et qu’il constate que je reste, il va forcément se souvenir qu’il s’est donné la mort et que, contre toute vraisemblance, la mort est arrivée avant qu’il ne perde définitivement conscience. Personne n’a idée de l’immense responsabilité que nous avons, quand nous sommes les premiers arrivés sur le lieu d’une mort brutale. La vie est beaucoup plus lente à s’écouler que la seconde où la balle frappe la tempe.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 18:02:05

Ce sont des choses qui arrivent, et qu’on voit. De même que, très souvent, l’homme ou la femme solitaire réclame qu’on lui monte quelque chose de la réception pour avoir, tout simplement, de la compagnie. Une compagnie de trente secondes devient facilement une compagnie d’une heure, et d’une nuit. Nous savons toujours à l’avance si c’est pour avoir un verre, ou une partie d’existence, que la clientèle nous fait monter dans les chambres. Il y a l’instinct. Il y a nous-mêmes au centre de l’instinct. Il est arrivé plus d’une fois que je savais ce que j’allais faire à la chambre alors que le client ne le savait pas encore. Nous sommes préparés à ça.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 18:04:00

Il faut surtout éviter le plus grave des malentendus. Un être que la vie vient tout juste de quitter peut facilement sentir, à tort, que la personne qui entre dans la chambre est la mort en tant que telle. Il ne faut pas le confronter inutilement à des reprises de l’acte qu’il vient de faire. Toutes les morts sont humaines. Il n’y a pas d’individus qui quittent ce monde d’une manière plus banale que d’autres. Il n’y a pas de dénouement sans essor. C’est le fameux événement dont on se souvient brusquement au moment où ça arrive, même si on a passé une vie entière à se demander à quoi il ressemble.

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On y voit passer le traversier du monde. Un instant de la vie se suspend, le temps de respirer, le temps de reprendre son cours.  Un être en transit appartient-il vraiment à lui-même? Il y a plus de gens seuls que de couples. Parfois des équipes, mais chaque membre de l’équipe passe ici par sa solitude. Je pense souvent que les troupeaux ne peuvent pas envisager leur dissolution, quand on voit paître l’ensemble, qu’il soit ordinaire ou de race recherchée. Pourtant la société tout entière promène un ensemble innombrable de solitudes. Il faut le voir ici pour s’en convaincre.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:46:52

Nous observons les fêtes, les rassemblements sociaux, les congrès. Nous passons comme des ombres entre les tables, on s’adresse à nous qu’en cas d’extrême nécessité. Ceux qui nous remarquent font semblant de ne pas tenir compte de nos présences. À l’inverse, il y a une sorte de clientèle que nous indifférons autant que les chaises sur lesquelles ces gens sont assis. Mais on dirait qu'ils s’efforcent de se montrer polis quand nous passons remplir les verres. De façon générale, beaucoup pensent que nous sommes engagés ici pour maintenir l’ordre ou pour consoler par nos présences les gens effrayés à l’intérieur de leur solitude, devant leur miroir mental.

500 Re://T7190 [Upgr/WuMa/Zang/Nasu/ChenJ/QiuZh/Ouyan/XaoS/Erika - Peninsula] post. 19-03-01 17:49:12

Pendant les fêtes du Nouvel An, on lâche dans le ciel des milliers de fusées qui explosent dans la nuit. Ces pyrotechnies coûtent une fortune à l’État. Elles rassemblent pour quelques secondes seulement un bouquet d’étincelles qui se déploient en illustrant une pluie d’or, de rubis, de jade sur fond d’encre noire, pour se volatiliser autant qu’une idée disparaît d’une tête avant même d’avoir fini d’y prendre place. La clientèle assiste à ce déferlement en se brisant d’émotion. Chaque étincelle qui disparaît dans la nuit lui fait penser à elle-même, qui se tient compacte avant de se disséquer en milliers de solitudes.

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Ni des surveillants ni des aides. On nous confond avec les tableaux. Je suis déjà resté une heure dans une chambre. Ni l’homme ni la femme n’ont fait attention à moi. Ils étaient européens, ils parlaient français, Ils ne savaient pas que je comprenais le français. Je nettoyais la baignoire pendant qu’ils discutaient. Je sais de quoi ils discutaient, mais je ne peux pas le répéter. C’était ni intime ni officiel, sans rapport avec une vie professionnelle ou amoureuse, quoique d’une certaine manière tout ça faisait partie de leur conversation. Ils n’ont jamais fait allusion à ma présence. Quand je me suis excusé avant d’entrer, ni l’un ni l’autre ne s’est dérangé, quand je suis reparti il n’y a pas eu de merci, ni d’excuses. Mais j’ai l’habitude. Au lendemain de leur départ, ils avaient laissé un pourboire aussi gros que le prix d’une nuitée. Ce sont toujours ces gens-là qui n’ont pas de problèmes avec une présence étrangère dans leur intimité. Ils laissent d’énormes pourboires.

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Je suis déjà resté longtemps à dialoguer avec la présence d’un homme qui s’était ôté la vie juste avant que j’entre pour faire la chambre. L’odeur de la mort n’était pas encore arrivée. Qu’un peu de souffre dans l’air, mais beaucoup de sang sur l’oreiller. Chaque fois, c’est plus fort que soi: «Non mais à quoi avez-vous pensé?» Au lieu de lui demander sagement s’il n’a pas trop souffert? Physiquement, je veux dire. Moralement toute la souffrance est là, enfin retombée par terre. La consigne est catégorique: il faut appeler le supervisuer dès qu’on découvre le corps. Mais comme nous tous, le superviseur est chinois. Il sait que nous devons placer d’urgence un apaisement moral avant d’appeler la police. La famille, les créanciers, eux, ça peut toujours attendre. Heureux sont ceux qui meurent longtemps avant que leur cadavre ne soir découvert. Ils ont le temps de se préparer au spectacle qu’ils vont donner.

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Toutes ces heures devant l’humanité qui passe, et qui se recompose au lendemain d’avoir été une humanité de la veille, doivent comporter des moments de joie? Si des couples ne font pas attention à vos présences tandis que vous êtes dans leur chambre, avez-vous jamais assisté à des ébats amoureux? À des rencontres entre purs étrangers? Tant de gens se donnent rendez-vous sans se connaître dans tous les hôtels du monde. Ah oui, c’est vrai: si vous avez vu mourir des gens, en avez-vous vu naître?

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L’homme mort avec le masque encore imprégné de la vie a peut-être beaucoup à dire quand il constate, en présence du garçon d’étage, qu’il est bel et bien passé de l’autre côté. Il paraît que notre rôle est de ne pas l’en informer trop brusquement. S’il veut articuler des paroles et qu’elles ne viennent pas, s’il veut me dire: «Allez-vous-en» et qu’il constate que je reste, il va forcément se souvenir qu’il s’est donné la mort et que, contre toute vraisemblance, la mort est arrivée avant qu’il ne perde définitivement conscience. Personne n’a idée de l’immense responsabilité que nous avons, quand nous sommes les premiers arrivés sur le lieu d’une mort brutale. La vie est beaucoup plus lente à s’écouler que la seconde où la balle frappe la tempe.

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Ce sont des choses qui arrivent, et qu’on voit. De même que, très souvent, l’homme ou la femme solitaire réclame qu’on lui monte quelque chose de la réception pour avoir, tout simplement, de la compagnie. Une compagnie de trente secondes devient facilement une compagnie d’une heure, et d’une nuit. Nous savons toujours à l’avance si c’est pour avoir un verre, ou une partie d’existence, que la clientèle nous fait monter dans les chambres. Il y a l’instinct. Il y a nous-mêmes au centre de l’instinct. Il est arrivé plus d’une fois que je savais ce que j’allais faire à la chambre alors que le client ne le savait pas encore. Nous sommes préparés à ça.

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Il faut surtout éviter le plus grave des malentendus. Un être que la vie vient tout juste de quitter peut facilement sentir, à tort, que la personne qui entre dans la chambre est la mort en tant que telle. Il ne faut pas le confronter inutilement à des reprises de l’acte qu’il vient de faire. Toutes les morts sont humaines. Il n’y a pas d’individus qui quittent ce monde d’une manière plus banale que d’autres. Il n’y a pas de dénouement sans essor. C’est le fameux événement dont on se souvient brusquement au moment où ça arrive, même si on a passé une vie entière à se demander à quoi il ressemble.